Tout le monde l'appelle « Kev », ce rouquin au regard pâle, qu'une assistante sociale a découvert, enfant, enfermé dans une chambre où il n'avait que les rayons du soleil pour jouer. Désormais adolescent, Kevin souffre d'une forme d'autisme si sévère que la plupart des institutions dites spécialisées ont longtemps refusé de l'accueillir. Clémence Hébert l'a suivi avec sa caméra, d'un lieu à l'autre. Celle, douée de la parole, et celui qui vit en dehors, se sont apprivoisés à égalité de regards avec la lentille d'un objectif comme seul medium de re-connaissance, qui saisit ce qui palpite, surgit, s'étiole, et recommence. Un lien discontinu mais vivant. Fruit de sa longue expérimentation auprès de ceux qui en souffraient, Fernand Deligny avait forgé un mot qui condensait son idée du cinéma comme moyen pour penser l'autisme : « camérer », par opposition à « filmer ». Autrement dit, « mettre dans la boîte des éclats », autant de tentatives pour créer un humain commun. Clémence Hébert s'inscrit dans ce sillage, elle qui parvient, sans discours, à nous faire voir le monde du côté de cet être radicalement Autre.
Mitch est artiste, Mitch est schizophrène. Voilà ce qu’il clame, face caméra. Et Mitch est son autoportrait, celui d’un homme de 40 ans qui utilise la caméra et le cinéma comme forme de thérapie. Donc, geste décisif ici, il s’agira ici de retourner la perspective, de lui emboiter le pas. De l’image sur la folie, nous voilà placé depuis celui-là même qui en est le sujet. Mitch nous entraîne avec lui, traversée fulgurante de son environnement, l’hôpital psychiatrique où il réside. Il filme, se filme, s’interroge et interroge, sur le sexe, la beauté, invective mais aussi chante et karaoke, apostrophe sur la politique, se révolte, scrute, s’inquiète, et rit aussi. Filme sans gants ni mesure. Mais cela n’est pas tout. Si Mitch est une plongée vue par Mitch à travers cette matière constituée de 2009 à 2011 dont Mitch est le seul opérateur et Damir Čučić l’initiateur, c’est aussi une traversée par ses bords d’un pays pris dans les suites traumatiques de l’histoire récente. Un film comme détour pour mieux revenir au centre, tout comme ce geste pour conserver l’anonymat des personnes filmées, un geste aussi simple que saisissant, en forme de retournement des contraintes du droit à l’image : le recouvrement des visages et des corps par le dessin. Où chacun serait devenu l’image grotesque dans un monde peuplé de fantômes dansants. (NF)